Publié le 13 Mars 2015
Chaque nouveau roman de Houellebecq est un petit événement pour moi. Il fait partie de la poignée d'auteurs que j'admire beaucoup et pour qui je me précipite chez mon libraire le jour même de la sortie du livre, histoire d'être parmi les premières à découvrir la chose. Avant sa sortie officielle, tous les spécialistes du monde littéraires, journalistes et chroniqueurs l'avaient déjà lu; et même quelques citoyens lambda semble-t-il (le manuscrit a, parait-il, été piraté et diffusé sur internet - info ou intox? voire fuite volontaire...??). Pour ce qui était d'être la première c'était raté. Tous ceux qui l'ont lu avant moi ne se sont pas privé pour en déflorer l'intrigue (et même carrément citer des passages entiers! - moi qui ne lis même pas les 4ème de couv', j'en aurais presque crié au viol).
Le 7 janvier dernier (date de la sortie officielle mais aussi, hasard du calendrier, jour de l'attentat contre Charlie Hebdo), tout le monde avait déjà un avis très tranché sur la question:
formidable ou détestable (Houellebecq quoi...).
Mais un autre mot est beaucoup ressorti : islamophobie.
Alors là...ça m'a laissée songeuse....
Que Houellebecq soit islamophobe dans sa vie privée (et même publique) aurait pu m'échapper (je ne m'intéresse pas à l'homme mais à son travail d'auteur) mais s'il y avait eu du racisme dans ses romans précédents, je n'aurais pas pu passer complètement à côté...Enfin je ne pense pas...
Cette polémique a donc piqué ma curiosité au vif et c'est avec un réel souci d'objectivité que j'ai attaqué cette lecture, en prenant soin d'être très attentive aux mots employés et au ton de l'auteur.
Soumission est un roman de légère anticipation. L'histoire se déroule en 2022. Le narrateur est personnage houellebecquien classique (comprendre solitaire, introverti, froid, détaché du monde et dépressif sur les bords). Spécialiste de Huysmans, il est devenu prof d'université sans conviction, parce que "les études universitaires dans le domaine des lettres ne conduisent comme on le sait à peu près à rien" sinon à l'enseignement...
Description cocasse de la vie à l'université...
Arrivent les élections présidentielles. Le Front national et le parti de la Fraternité musulmane sont au coude à coude au premier tour.
Suivant les conseils d'amis politisés, le narrateur fuit Paris pour aller se réfugier en province entre les deux tours. Il craint en effet que le pays ne se retrouve à feu et à sang. L'anti-héros dans toute sa splendeur...non engagé et fuyant.
La Fraternité musulmane est élue au second tour et prend la tête du pays sans qu'aucun incident grave ne soit à déplorer. Le narrateur retourne vivre à Paris. La vie reprend alors son cours normal. Et Houellebecq de décrire les changements qui découlent de cette élection, au quotidien, dans la société française.
Houellebecq imagine à quoi ressemblerait la nouvelle société française si elle était gouvernée par un personnage fictif (!) qui aurait pour ambition de créer un empire musulman européen. Il imagine les répercussions directes au niveau de l'éducation (du travail à l'université notamment), dans la façon de s'habiller des femmes, les rayons du supermarché etc...Et puis la polygamie est désormais autorisée, ce dont ne manquent pas de profiter quelques vieux profs de sa connaissance qui épousent de très jeunes filles...
Les critiques de Houellebecq touchent l'ensemble du monde politique (description des stratégies, retournement de veste, recherche du pouvoir sans principes ni scrupules), et les médias (petites taquineries contre les médias plus que critique acerbe).
Je n'ai, pour ma part, rien trouvé d’offensant vis-à-vis des musulmans dans ce roman.
C'est une fiction !
Dénoncer les dérives possibles (dérives possibles - pas probables !) d'un système n'est pas une attaque directe à tous lesmusulmans.
On peut s'interroger sur le sujet choisi : Pourquoi un parti musulman et pas un autre parti religieux ? Attaque délibérée ? Provocation ?
Mais on peut aussi se demander: pourquoi pas ?
Est-ce qu'il y aurait désormais des sujets tabous, sur lesquels on n'a pas le droit d'écrire ?
On n'a pas le droit d'écrire sur l'islam si on n'est pas musulman ?
On n'a pas le droit d'imaginer comment la vie quotidienne pourrait changer si un parti religieux était au pouvoir?
On n'a pas le droit d'imaginer qu'il pourrait y avoir des dérives dans l'islam (des hommes qui profiteraient de la polygamie par exemple)?
On n'a pas le droit de CARICATURER...???
Et c'est exactement de ça dont il s'agit: le roman comme caricature.
On vit quand même dans une drôle d'époque...politiquement correcte à outrance (ça partait pourtant d'une bonne intention au départ cette histoire de politiquement correct). Désormais, les susceptibilités sont tellement exacerbées que tout le monde marche sur des oeufs...Heureusement qu'il y a encore des Houellebecq, des écrivains, des intellectuels, des artistes qui osent, qui s'engagent, qui choisissent leurs sujets sans contrainte ni auto-censure. En faisant de la provocation s'il le faut. C'est aussi le rôle des artistes de secouer la bienséance.
Pour tout ça, j'ai envie de défendre Soumission. Par principe.
Aujourd'hui plus que jamais.
Les (autres) défenseurs de Houellebecq disent qu'il s'agit de loin de son meilleur roman. Là-dessus, je ne suis pas d'accord. Et pour être même parfaitement honnête, je ne l'ai pas vraiment aimé ce livre (du point de vue littéraire). Je lui ai trouvé un problème de rythme.
J'ai adoré le début. Le premier tiers du livre. J'ai ri en découvrant ce personnage du narrateur,si petit: sans ambition, sans vie privée, sans vie sociale, qui se noie dans les petits détails pratiques de sa vie de merde plate. Ses courses au supermarché, les tracasseries administratives, le réchauffage d'une barquette au micro-onde sont autant d'événements futiles qui prennent une importance énorme dans son quotidien si vide. Sa vision du monde en est déformée, disproportionnée....Très drôle.
J'ai aimé aussi le côté un peu inquiétant de certains passages. L'ambiance oppressante, post-apocalyptique, après des événements violents dont on n'entend pas parler aux informations. Les systèmes de communication coupés...On bascule presque vers le polar par moment et c'est vachement bien fait. (J'adorerais que Houellebecq écrive un roman noir, il excellerait dans ce genre).
Et puis après, je me suis ennuyée.
Trop de dialogues politiques, de détails sur la vie et l'oeuvre de Huysmans...Des longueurs...
Comme si l'auteur était parti dans une direction puis qu'il avait bifurqué en route et s'était perdu, s'était embourbé dans les errances de son narrateur (qui d'ailleurs ne sait pas trop où il va dans la vie), perdant le rythme, l'humour, les qualités premières de son écriture au fur et à mesure qu'avance le roman.
Après l'avoir refermé, je me suis dit: "tout ça pour ça?". Tout ce tapage pour une fiction même pas géniale. Même pas offensante.
De quoi me laisser encore plus songeuse qu'avant lecture...